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Comment comprenez-vous le suicide et dans quel cadre structural ou pathologique peut-on le rencontrer ?

Publiée le 6 janvier 2013, 19:54

De tous temps, les notions de vie et de mort ont été à l’origine de multiples questionnements, mais aussi de nombreuses craintes. En effet, l’humain tente depuis des siècles de prendre le dessus sur son environnement, et cela, dans le but final de le maîtriser. Le droit de vie en est le plus bel exemple. Il est vrai que les avancées médicales et scientifiques nous ont permis de manipuler presque à la perfection les naissances, grâce, entre autres, à l’avortement, à la contraception, mais aussi à l’insémination artificielle.
Mais qu’en est-il de la mort ? La notion de mort reste insaisissable, sa venue peu maitrisable, et est encore, de nos jours, un sujet tabou. A l’inverse de la vie, la mort ne semble pas être un droit mais plutôt un passage obligatoire imposé à chacun d’entre nous. Le philosophe Heidegger mettait en lumière cette idée lorsqu’il soulignait que « dès qu'un être naît, il est assez vieux pour mourir ». Néanmoins, de nombreuses personnes veulent, ou plutôt, ont besoin de revendiquer ce droit afin de mettre un terme à leur existence, ce sont les suicidaires. Cette notion de suicide fut étudiée par de nombreux auteurs, du sociologue (tel que Durkheim) aux psychiatres, en passant par les psychologues ou psychanalystes (tel que Freud). Cependant, malgré cette envie de comprendre, la recherche au sein de ce domaine ne nous a permis d’effectuer que de légères avancées. En ce qui me concerne, c’est un acte que j’ai du mal à comprendre. La lecture de nombreux livres autobiographiques concernant des adolescents suicidaires, ne m’ont que peu aidé à mieux cerner le sujet. Il m’a donc paru intéressant d’étudier le suicide, au sein d’une approche psychanalytique.
On peut se demander quelles sont les différences entre le suicide, les crises suicidaires, et les tentatives de suicide.
Avant de parler du « suicide », il me parait indispensable de le délimiter parmi les termes associés.
Intéressons nous tout d’abord à la crise suicidaire. Cette dernière est une crise psychique, constituée d’un mouvement d’échappement, qui aboutit dans la plupart des cas à la tentative de suicide. En d’autres termes, la crise suicidaire correspond à l’évolution d’un sujet, d’un état antérieur normal à un éventuel passage à l’acte. A l’inverse, le suicide (du latin sui caedere : se tuer soi même) est défini comme « l’action de se donner volontairement la mort », ou encore comme un « acte réussi sanctionné par la mort ». Le suicide est donc la continuité, ou plutôt la conséquence « réussie » de la crise suicidaire. Enfin, on parle de tentatives de suicide lorsque le passage à l’acte n’a pu aboutir, c'est-à-dire comme « un acte incomplet se soldant par un échec ». L’acte suicidaire n’est pas spécifique à une population, c'est-à-dire qu’il peut atteindre tous les milieux, que ce soit culturels ou encore socio-professionnels. Par ailleurs, une légère différence se manifeste entre hommes et femmes : ces dernières ont tendance à effectuer plus de tentatives, la plupart par le biais de médicaments. A l’inverse, on dénombre plus de suicides chez les hommes, qui se servent de méthodes plus violentes tel que la pendaison, l’utilisation d’arme à feu, par le gaz, ou encore la noyade.
Selon Jean Baechler, le suicide semble n’avoir qu’un but : la résolution d’un problème ou bien encore le moyen de parvenir à une fin. Néanmoins, chaque problème mais aussi chaque finalité est différente, engendrant des types de suicides variés. On recense ainsi sept fonctions : la fonction hétéro agressive, ou suicide agressif selon Baechler, qui correspond à une agressivité inconsciente du sujet envers autrui, qui ce serait détournée vers le sujet lui-même. La seconde fonction est celle d’appel, dont le but final n’est pas la mort. Cette dernière peut être aussi associée à une troisième fonction qui est celle de chantage, qui consiste en une recherche d’un bénéfice second. La quatrième fonction du suicide est ordalique, correspondant à une mise à l’épreuve où le sujet se met volontairement en danger. Cette fonction peut être reliée à une cinquième qui est celle de jeu (ou suicide ludique selon Baechler), correspondant à un aspect plus mystique du suicide. Le sixième type de suicide correspond à la fonction catastrophique, où il apparaît comme un acte inadapté, incontrôlable et qui fait suite à un état de panique de la part du sujet. Enfin, la septième et dernière fonction est celle de la fuite (ou suicide escapiste selon Baechler) qui exprime une impuissance de la part du sujet à faire face aux événements et constitue alors un moyen d’échappement.
Sigmund Freud s’est intéressé au suicide dès 1910 au travers du texte Pour introduire la discussion sur le suicide, dans lequel il pose la problématique suicidaire mais ne peut y répondre du fait de son manque d’expérience. C’est ensuite en 1915, dans son livre Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, qu’il définira le suicide comme la mort d’autrui n’ayant en aucun cas rapport avec le pulsionnel, ce dernier ne favorisant pas la croyance en la mort. Freud reprendra sa théorie en 1917 au travers de son livre Deuil et mélancolie, mais n’y étudiera que l’autodépréciation chez le patient mélancolique. Ce n’est qu’en 1920 qu’il tentera de redéfinir le suicide à travers quelques lignes de son livre Psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine. L’acte suicidaire est alors, selon lui, le « désir de tuer l’objet avec lequel le sujet s’est identifié qui fournit l’énergie nécessaire à l’accomplissement de l’acte, considéré alors comme retournement sur soi même » (1). Deux points de vue concernant la cause du suicide découleront de ces théories : tout d’abord celui de la culpabilité et auto-agressivité d’origine œdipienne et enfin celui de la pulsion de mort. Concernant la culpabilité et l’auto-agressivité d’origine œdipienne comme cause du suicide : dès le plus jeune âge, l’enfant agit en fonction du courant pulsion-fantasme-désir-parole. Cependant, lors de la phase œdipienne, ce courant permettant le bien-être psychique de l’enfant va être interrompu. En effet, pulsion, fantasme et désir seront présents à travers un amour passionné pour le parent de l’autre sexe, ainsi qu’une forte haine pour celui du même sexe, mais vont être stoppés d’une part par les parents, et d’autre part par une culpabilité grandissante. De plus, le désir incestueux n’ayant pu être assouvi, cela va entrainer chez l’enfant l’apparition d’une frustration donnant naissance à une agressivité inconsciente.
En définitive, culpabilité et agressivité peuvent prendre deux chemins. Soit ils s’estompent avec les années, soit ils deviennent pathologiques pour le sujet. Lors de cette dernière évolution, agressivité et culpabilité peuvent se manifester de différentes façons : tout d’abord de manière directe, c'est-à-dire en projetant l’agressivité sur autrui puis sur le sujet lui-même. Le suicide est alors perçu comme la manifestation d’une auto-agressivité trop forte.
Enfin, la manifestation peut être indirecte, et, par conséquent s’exprimer à travers un besoin d’autrui, le suicide apparaissant alors comme un moyen d’attirer l’attention de son entourage. En conclusion, le suicide de type hétéro-agressif ainsi que celui ayant pour fonction l’appel, peuvent avoir pour origine une agressivité et culpabilité faisant suite à une évolution pathologique du complexe œdipien.
C’est en 1920 que Freud propose sa seconde théorie des pulsions dans Au-delà du principe de plaisir, dans lequel il fait s’opposer la pulsion de mort à la pulsion de vie. Freud décrit alors la pulsion de mort comme une force dont le but est d’éliminer les tensions internes, mais aussi de ramener l’être vivant à son état premier, inorganique, c'est-à-dire la non-vie. D’après cette théorie, une organisation pulsionnelle chaotique peut donc avoir pour conséquence l’acte suicidaire. En effet, ce dernier pourrait être engendré par deux processus : soit par une déviation de la pulsion de vie, soit, à l’inverse, par l’expression d’une pulsion de mort trop débordante qui va envahir et désorganiser le Moi, le suicide devenant, dans ce cas, le moyen de combattre la pulsion en attaquant directement son corps (son Soi), dans le but de protéger son Moi.
Ces deux visions du suicide découlant des théories freudiennes ont été maintes fois assemblées par Freud lui-même, mais aussi par d’autres auteurs. Pulsion de mort et agressivité deviennent alors une cause commune de l’acte suicidaire, l’un engendrant l’autre.
Toutefois, ces théories freudiennes furent souvent remises en cause, notamment par Baechler. En effet, celui-ci estime que Freud n’est pas à même de parler du suicide car il ne disposait que de trop peu d’éléments et d’expériences afin de résoudre la problématique suicidaire.
A la suite de Freud, de nombreux auteurs tel que Mélanie Klein, Michael Balint, Winnicott, William Ronald Dodds Fairbairn, ou encore S. Rado, et A. Garma, ont tentés d’étudier le phénomène suicidaire. Cette conception post-freudienne se base, pour la majeure partie, sur les théories kleiniennes concernant le nourrisson, cela dans une vision d’évolution pathologique de ce dernier. Il est donc indispensable de résumer cette théorie afin de comprendre les visions post-freudiennes du suicide. Dans cette perspective, le développement de l’enfant serait divisé en deux phases : la phase schizoparanoïde et la phase dépressive. La position schizoparanoïde débute au commencement de la vie de l’enfant.
Cette période est caractérisée par le sentiment de la part du nourrisson de ne faire qu’un avec son environnement et plus particulièrement avec sa mère. En effet, à cet âge, l’enfant fusionne avec cette dernière et projette sur elle sensations et représentations internes, tout en incorporant et introjectant ce qui vient d’elle. À la suite de cela, le nourrisson va être soumis à un phénomène de clivage, c'est-à-dire que, suite aux expériences qu’il va vivre, le bébé ne saura ressentir un sentiment continu mais plutôt des affectes divisés. Tel que l’écrit Mélanie Klein, l’enfant aura devant lui tantôt une bonne mère (bon sein), et tantôt une mauvaise mère (mauvais sein). À ce clivage va suivre le phénomène d’internalisation. En effet, selon Fairbairn, le nourrisson va internaliser les objets mauvais extérieurs qu’il rencontre, dans le but de maintenir son environnement comme bon et sécurisé. Il devient alors indispensable, pour le bon fonctionnement du psychisme de l’enfant, de refouler ces objets. La seconde phase, succédant à la position schizoparanoïde, est la phase dépressive. Cette étape primordiale, car maturante, a lieu vers 6 mois. Le nourrisson peut alors se séparer de sa mère et devenir un être différencié. Il se crée alors un espace entre le nourrisson et sa mère, appelé « espace potentiel » par Winnicott, permettant, entre autre, l’arrêt du clivage, de la projection et du déni. L’enfant va dorénavant passer par le jeu ou par des objets transitionnels afin de se sécuriser et d’exprimer ses affects internes.
Pour de nombreux auteurs post-freudiens, le suicide correspondrait à la régression de l’adolescent ou du jeune adulte à une phase de clivage, de projection et de déni, c'est-à-dire à la position schizoparanoïde (laissant supposer que chez ces individus suicidaires, la position dépressive aurait donc été défaillante). Une seconde théorie tend à penser que, seul la phase dépressive, et notamment la fonction de jeu serait défaillante. Par conséquent, l’enfant ou le jeune adulte souffrirait d’une incapacité à se sentir en sécurité, et donc à être en accord avec son environnement, ceci pouvant provoquer l’apparition d’actes suicidaires.
Enfin, pour un bon nombre d’auteurs, et notamment Fairbairn, les idées suicidaires proviendraient du fait que, lors de l’internalisation, si l’environnement du nourrisson est fortement mauvais, cela peut provoquer chez l’enfant un sentiment d’insécurité interne qui va se transformer progressivement en hétéro-agressivité, puis en auto-agressivité. C’est lors des situations traumatiques vécues par l’adolescent ou le jeune adulte, que le retour de ces objets précédemment refoulés va s’effectuer. Le sujet n’ayant pu élaborer des défenses suffisantes face à ces derniers, le surplus d’angoisse grandissant peut alors le pousser au passage à l’acte suicidaire.
Le traitement des patients suicidaires comprend de nombreuses techniques psychanalytiques qui peuvent être mises en place par l’analyste de façon simultanée ou différée, en fonction du patient. Le premier aspect primordial de la psychanalyse est la présence que l’on doit apporter au patient suicidaire. Présence physique mais aussi morale, qui ne doit pas être exécutée exclusivement par l’analyste mais aussi par l’entourage du sujet suicidaire, ce dernier jouant un rôle primordial dans sa guérison. Cependant, l’analyste ne doit pas s’imposer de manière brutale, mais plutôt en alliant disponibilité et écoute attentive. Cela nous amène au second aspect principal de la psychanalyse : la parole. Il est vrai que le suicide est synonyme d’échec de la parole, ce qu’il faudra donc rétablir lors de la cure, tout en essayant de percevoir « l’autour » c'est à dire les gestes, les expressions, les mimiques, tout cela ayant un sens très précis.
De cet ensemble va découler la compréhension de l’état mental du patient, permettant à l’analyste une meilleure communication avec ce dernier, un apport de réponses adaptées, et donc l’évolution du patient vers la guérison. Malgré sa finesse, le psychanalyste ne doit tout de même pas craindre d’être intrusif, intensif et de prendre des décisions pour le patient concernant les propositions de soins, celui-ci n’en étant plus capable. On remarque également que, dans la plupart de ces psychanalyses, il peut se créer deux processus : tout d’abord une réaction thérapeutique négative, qui est due au fait que les éléments mauvais internalisés, puis refoulés, vont être fortement investis par le patient et donc opérer une résistance qui peut provoquer l’interruption de la thérapie. Enfin, il peut se mettre en place un transfert, processus normal, bénéfique à l’évolution de la thérapie, qui correspond à une liaison spécifique formée entre l’analyste et le patient. Du côté du patient, le premier besoin perçu est celui d’échapper à la douleur morale, notamment en projetant vers l’extérieur ces éléments psychiques douloureux (d’où l’importance du transfert). De plus, il est important pour le patient de « faire la paix avec lui-même » et notamment avec son corps. Il est vrai que lors du passage à l’acte, le corps est le premier visé, bien que, l’important soit ce qu’il représente. La psychanalyse n’est pas de tout repos pour le patient suicidaire. En effet, le retour à la conscience des objets mauvais par la parole ou la remémoration de l’acte, met le sujet dans un état instable et douloureux. Surmonter ce passage est alors indispensable dans le processus de guérison du patient. Les mots clefs de la psychanalyse semblent être: présence, disponibilité, écoute, parole, libération de la parole et compréhension.
Pour conclure, nous voyons qu’il y a une évolution (même si elle est légère) de la vision du suicide, des théories freudiennes à nos jours. En effet, certains aspects tels que les causes ou encore les méthodes thérapeutiques n’ont pas été totalement définies. En dehors de l’aspect psychanalytique, d’autres auteurs ont eux aussi émis des hypothèses qui ont abouti à des théories et prises en charge différentes. Il me semble important d’intensifier l’aspect préventif, et pour cela, une prise de conscience est absolument nécessaire, tant du côté des professionnels que de celui de la population.

(1) S. FREUD, Névrose, psychose et perversion, PUF, « Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine », page 261.
L’ouvrage qui a complété l’étude de ce sujet: Jean BAECHLER, Les suicides, éditions Hermann, 2009.



Ecrit par Fanny Vanesse.

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